Gérard B.

Buchet-Chastel

Conseillé par
19 décembre 2011

Incontournable

Chailley peut être détestable dans son parti pris contre la musique atonale, où il propage des contre-vérités flagrantes et indignes de lui, par exemple sur le caractère et un certain "exhibitionnisme de la provocation" chez Webern, ce qui est le strict contraire de la vérité humaine et musicale chez cet homme, et ce avec des arguments d'un manque d'argumentation et d'un péremptoire quasi 'staliniens'. Il pourrit lui-même une position a priori recevable par une attitude qui la décrédibilise complètement. Mais lorsqu'il quitte ces démons, il se montre un analyste extrêmement subtil (probablement aidé d'une armée d'étudiants, mais qu'importe), sachant synthétiser considérations musicales ardues mais concrètes, disséquées au scalpel d’une analyse perçante et considérations extra-musicales fort pertinentes.

Ceci lui permet de percer au mieux les secrets de cette chose complexe qu'est une œuvre d'art - musicale en sont cas, mais qui pourrait aussi bien être architecture ou sculpture. Après avoir éclairci un "secret de polichinelle" don tout le mode parle mais que personne ne prend la peine de démonter, à savoir l'origine maçonnique de la "flûte enchantée" (pourtant simple car relative aux trois premiers degrés), voici que Chailley s'attaque à un sujet plus "iconoclaste": le mépris de Nietzsche pour un Wagner prosterné au pied de la croix chrétienne (même à travers le prime de ma mythologie personnelle) ne serait qu'un masque. Parsifal ne serait que la représentation d'un rite maçonnique et des symboles associés à travers le filtre wagnérien sous un masque pseudo-chrétien. Simplement, ce rite appartient à un degré d'initiation nettement supérieur à celui de Mozart, et donc d'un ésotérisme tel que le non-initié n'est pas en mesure de le décoder (les frères maçons de Wagner ne peuvent donc l'accuser de trahir les hauts secrets maçonniques). Naturellement, on ne peut se laisser convaincre que dans la mesure où l'on accorde crédit à ce que Chailley (qui s'affirme non franc-maçon) nous rapporte de ces rites. Mais outre que le sérieux de Chailley dans ce genre d'analyse est difficilement contestable et où lui-même ne transgresse pas l'interdit maçonnique, il apporte sur certaines singularités de source non chrétienne de "Parsifal" (généralement assimilées à l'assimilation de certaines légendes - chevaliers de la Table Ronde et autres qui avaient déjà fait surface dans Lohengrin) une lumière qui n'est plus un biais romantique personnel de Wagner visant à tordre l'orthodoxie chrétienne pour la plier à sa vision personnelle du monde et notamment de la rédemption. Mais si on lui accorde ce crédit, la démonstration de Chailley est imparable. Voici donc un livre qui, au delà de l'éclaircissement symbolique d'une œuvre souvent considérée "en marge" de l'œuvre wagnérienne (par les interdits mêmes du compositeur qui en interdisait la représentation hors du Temple de Bayreuth) remet en question l'idée d’une évolution de leur auteur quelque peu brouillonne, relevant de l'affect romantique plus que de l'approfondissement philosophique. L'idée commune voyant en notre compositeur un famélique montant sur les barricades en 1848 se transformer en grand bourgeois aisé aux idées quasiment pré-nazies et suffisamment conservatrices pour a causer une brouille à mort avec Nietzsche dans un revirement total de ce dernier est certainement en partie vraie en partie, mais n'y a-t-il pas autre chose chez Wagner qu'un pseudo-philosophe un peu brouillon voyant la réussite matérielle lui sourire et virant très classiquement de la révolution à la réaction, d'une manière que la Tétralogie permettrait de tracer? Au delà de l'admirable travail mené sur "Parsifal', il est incontestable que tout lecteur honnête ne peut éviter de se poser la question.