Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

15,00
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31 août 2015

Voici un roman qui me laisse une sensation bizarre : je suis à la fois sûr que j'avais en mains un livre intéressant, bien écrit, très plaisant et jamais je n'ai vraiment réussi à enter en contact avec Nadja, à la comprendre ni même à vraiment croire à sa transformation. Rien ne nous montre quels sont les ressorts qui lui font prendre conscience de sa vie ou alors, je suis passé à côté. Nadja, prénom référence à André Breton -vieux souvenir de lecture- ne m'a pas totalement convaincu. Elle est comme absente de sa vie, même si elle est omniprésente dans le roman. Elle avance sans vivre sa vie, la traverse, telle une somnambule, oublie les événements aussitôt qu'elle les a vécus aussi forts soient-ils et l'on sait que tout cela est lié à une histoire vieille de vingt-cinq ans, lorsque ses parents ont quitté avec elle précipitamment le pays d'Afrique dans lequel ils vivaient. Petit à petit, on comprend, tout s'éclairera en fin d'ouvrage. "A quinze ans, Nadja avait eu l'impression d'aller à sa propre rencontre, dans ce mélange d'excitation, de rage et d'apathie propre à l'adolescence. Puis les choses s'étaient enchaînées comme elles s'étaient enchaînées, l'excitation et la rage avaient pâli, l'apathie avait pris toute la place, d'autres avaient commencé à décider pour elle, ses parents d'abord, puis le docteur Cohen, puis Paul, et elle avait tout le temps froid, elle avait tout le temps peur, elle s'était mise à tout oublier, tout sauf ce dont on lui avait interdit de se souvenir." (p.30)

Nadja est comme un cerf-volant, elle subit les vents, suit les courants ceux que lui impose son travail d'écrivaine et de cinéaste, son fil qui la retient et la relie à la terre c'est Paul, son mari. Je m'intéresse alors au manque de réaction de Nadja, à son manque d'ancrage dans sa vie plus qu'aux raisons de son état, et le roman m'apparaît comme celui d'une femme qui tente de sortir d'une longue léthargie, d'une déprime, ou plutôt qui en sort presque malgré elle, car encore une fois, elle n'est pas actrice de cette guérison.

Courts chapitres qui donnent un peu de rythme, court roman (146 pages) qui permet de ne pas avoir de longueurs, car malgré mes réserves, je n'ai jamais ressenti de lassitude de tenir ce livre dans mes mains, je l'ai toujours repris avec plaisir lorsque je l'avais posé auparavant. L'écriture sûrement y est pour une grande partie, simple, accessible, mais aussi l'envie de savoir si enfin Nadja allait prendre sa vie en mains.

A découvrir, j'ai hâte de lire les autres articles sur ce roman, je le ferai avec attention et grand intérêt

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31 août 2015

Que voilà un roman formidable, à la fois classique : une histoire d'amour, de passion et un homme qui ne veut pas perdre la femme qu'il aime et en même temps, résolument moderne : la greffe de corps et les questions éthiques, humaines et morales qu'elle pose. Pendant la première partie du roman, j'hésitais entre la fascination pour l'exploit d'une telle opération et la peur qu'elle se réalise vraiment un jour. Un véritable malaise naît de la lecture, et franchement, un livre qui bouscule, c'est excitant.

Imaginez un roman classique d'un homme qui se pose des questions sur le sens de sa vie, qui aime profondément une femme qui veut le quitter, qui est donc prêt à tout pour la garder, qui veut continuer à se battre pour ses idées ; bon, on en a lus, ils sont parfois très bien et d'autres fois moins. Maintenant, prenez tout cela -mais un bon roman déjà- et ajoutez-y cette greffe de corps et donc les questions d'identité, du désir, de la jalousie (est-ce lui, Cédric, qui fait l'amour à Lorna ou l'autre, surtout lorsqu'elle ne regarde pas son visage ?), ... Toutes ces questions sont amplifiées par cette double identité au sein d'un même individu. Est-ce le cerveau qui a la mémoire du passé ou est-ce le corps ? Les informations passent-elles nécessairement du cerveau vers le corps, en descendant donc, ou bien, peuvent-elles remonter ? Si oui, quels sont les souvenirs, les réflexes, les apprentissages ou les choses innées qui sont de Cédric ou du donneur de corps ? Finalement, le nouveau Cédric Erg est-il le même qu'avant ou un mélange entre lui et le donneur de corps ? Et qui est ce donneur ?

Autant d'interrogations auxquelles Hubert Haddad répond ou tente de répondre dans une belle langue, comme d'habitude chez lui, absolument pas alambiquée ou artificielle ; elle est magnifique, parfois poétique -le chapitre où Cédric découvre son nouveau corps (p.103/107) est d'une grande beauté- qui use de mots savants -parfois médicaux, mais point trop, l'écueil est largement franchissable- ou de mots tombés en désuétude que l'auteur réhabilite avec talent et plaisir pour le lecteur. Les chapitres sont courts, rapides, ce qui donne à cet ouvrage un rythme de roman à suspense dont il a la densité et la force de vouloir absolument le finir vite pour connaître le fin mot de l'histoire.

Dans un thème ressemblant, n'hésitez pas à vous procurer et à lire, l'excellent roman de Roque Larraquy publié chez Christophe Lucquin, La Madrivore.

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31 août 2015

Toujours épatante cette série, elle respire la joie de vivre, la simplicité et la chaleur humaine. Les gentils restent gentils et sont récompensés et les méchants punis, mais jamais trop fort, car Mma Ramotswe ne se plaît pas à faire en sorte que la punition soit excessive. Et comme Mma Ramotswe est bonne, son futur mari l'est tout autant. Il est généreux, ses visites à l'orphelinat de Gaborone le prouvent : il répare tout ce qu'il peut gracieusement. Il est tellement bon que lorsque la directrice de l'orphelinat lui propose de s'occuper de deux enfants, une fillette en fauteuil roulant et son petit frère, il ne peut refuser, il essaie pourtant argumentant qu'il doit en parler au préalable avec Mma Ramotswe, mais à la vue des enfants, il cède. Qu'en pensera sa future épouse ? Je vous laisse le suspense, assez faible au demeurant, puisque Mma Ramotswe est aussi généreuse que le garagiste. Mais même sans suspense le livre se lit vite et très agréablement, le ressort de la peur ou de la tension n'est absolument pas celui sur lequel joue l'auteur. Non, il joue sur ses personnages, les rapports entre eux, sur le pays, les coutumes, cette fausse nonchalance que l'on pense parfois inhérente aux Africains, c'est plutôt un certain détachement des choses qui peuvent nous sembler importantes à nous, une autre conception de la vie : "Les Américains étaient très intelligents : ils envoyaient des fusées dans l'espace et inventaient des machines capables de réfléchir plus vite que n'importe quel être humain, mais toute cette intelligence les rendait aveugles. Ils ne comprenaient pas les autres peuples. Ils pensaient que tout le monde voyait les choses de la même façon qu'eux-mêmes, ce en quoi ils se trompaient. La science ne représentait qu'une partie de la vérité. Il existait également beaucoup d'autres choses qui rendaient le monde tel qu'il était, et les Américains ne les remarquaient pas toujours, bien qu'elles fussent présentes en permanence, là, sous leur nez." (p.121)

L'intuition, l'entraide, le respect d'autrui sont aux cœurs des personnages principaux, et Mma Ramotswe se désole de voir que ces principes déclinent en son pays qu'elle aime tant. Elle n'est pas naïve, elle sait à quoi s'attendre de l'évolution de la société, elle n'est pas réactionnaire ou nationaliste, elle aime son pays et aurait préféré qu'il ne subisse pas trop vite les changements dus à l'influence des pays occidentaux, États-Unis en tête. Pour elle, chaque pays, chaque continent devrait pouvoir garder ses spécificités, ses modes de vie, l'uniformisation ne lui sied point.

Ceci étant elle reste positive et c'est un des qualificatifs qui convient le mieux à cette série policière : elle est positive et optimiste. On ressort de ces lectures joyeux, avec le sourire et l'envie d'aller rencontrer Mma Ramotswe et Mr J.LB. Matekoni et revenir -ou pas- pleins de bonnes ondes et de ressources.

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21 août 2015

En préambule au roman, il est une note ainsi rédigée : "Entre 1949 et 1989, au Polygone nucléaire de Semi-palantisk, il fut réalisé un total de 468 explosions nucléaires, dont 125 explosions atmosphériques et 343 explosions souterraines. La puissance totale des appareils nucléaires testés dans l'atmosphère et sous la terre au Polygone (dans une région peuplée) dépassait par un facteur de 2 500 la puissance de la bombe lâchée sur Hiroshima par les Américains en 1945."

Et l'on se doute alors que Yerzhan a dû grandir dans cette zone et qu'il est atteint d'un mal l'empêchant de grandir. Un Oskar Matzerath (le personnage de Günter Grass dans Le tambour) qui ne déciderait pas de garder sa taille d'enfant mais y serait contraint. Yerzhan raconte son enfance au voyageur. Une enfance dans un hameau de deux maisons, Kara-Shagan, au bord de la voie ferrée. Deux familles liées par l'amitié entre les grands-mères y vivent. Lui est le fils sans père de Kanishat devenue muette depuis son troisième mois de grossesse. Dans la maison d'en face vit un couple avec une petite fille d'un an de moins que Yerzhan, Aisulu qui deviendra très vite sa confidente puis son amoureuse avant, croient-ils, de se marier dès qu'ils en auront l'âge. Yerzhan développe très vite des dons hors norme pour l'apprentissage des langues et surtout pour la musique, la dombra d'abord, instrument local, puis le violon qu'il apprendra grâce à un Bulgare qui vit un peu plus loin et qui dit-on a été enseignant de musique.

Ce roman est bizarrement construit. En trois parties inégales. La première sur l'enfance de Yerzhan, heureuse, calme entrecoupée parfois de secousses qu'ils ne savent pas être des essais nucléaires, bien sûr les populations habitant dans la zone n'ont pas été mises au courant par les autorités ; les Russes ont un retard considérable à rattraper sur les Américains déjà détenteurs de la bombe et comme l'époque est à la guerre froide, il est mieux de s'équiper pour éviter la troisième guerre mondiale, selon les discours officiels de tous les pays. Cette première partie est lente et parfois longue, elle est centrée sur le jeune garçon et l'on ne voit que peu son originalité de vivre dans cet endroit perdu en plein cœur d'une zone d'essais nucléaires.

Arrive alors une deuxième partie dans laquelle les effets de l'exposition se font sentir sur Yerzhan qui sent bien qu'il est différent. Il sent qu'Aisulu lui échappe, le dépasse en taille. Cette partie est plus intéressante et enfin je sens que le livre va prendre son envol -on en est à peu près à la moitié- mais mes intuitions sont mauvaises puisqu'elle ne fait que 15 pages (contre 60 pour la première).

Il y a donc une troisième et dernière partie qui retombe un peu dans les travers de la première pour s'emballer sur la fin et dévoiler quelques rebondissements qui, s'ils ne sont pas imprévisibles sont les bienvenus pour finir sur une note positive.

Mitigé je suis donc sur ce roman dont j'attendais beaucoup plus, il y manque la fameuse âme slave. L'écriture que je qualifierais de journalistique n'aide pas à la compassion, à l'empathie, c'est sans doute pour cela que j'aurais aimé plus de descriptions des lieux, du contexte "explosions nucléaires". Le souffle des steppes -fut-il celui d'une explosion- est un peu court et ne parvient pas jusqu'à l'extrême ouest de l'Europe -bon, à peine, je le concède, il y a encore quelques petits kilomètres de chez moi à la côté atlantique-, il a dû, c'est bien connu, comme le nuage de Tchernobyl, s'arrêter à la frontière. Dommage... enfin, dommage pour le souffle des steppes, Tchernobyl, on s'en serait bien passé

Pièce en trois actes et quatre tableaux

Gallimard

8,30
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21 août 2015

Je parlais récemment de Ionesco à propos de l'absurde, mais je n'avais de lui que des vieux et vagues souvenirs... alors ni une ni deux, je suis allé dans la bibliothèque de mon garçon lui piquer Rhinocéros qu'il a étudié l'an dernier pour le bac de français, que je voulais relire en même temps que lui et que je n'avais jusque là pas pris le temps d'ouvrir. De cette pièce émerge d'abord l'humour, les dialogues sont savoureux, les personnages se répondent du tac-au-tac, un vrai jeu de ping-pong verbal. Chacun y va de son opinion, de ses arguments plus ou moins fallacieux, Bérenger paraissant le plus faible, le plus discret, celui qui n'ose pas s'affirmer, surtout devant son ami Jean à l'assurance ancrée et visible et dont les propos ne souffrent d'aucune contestation selon lui. Le logicien est là également pour asséner une pensée faite de syllogismes : "Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat." (p.46) Et puis, la fable tourne vite à un questionnement sur les régimes autoritaires, le totalitarisme. Tous ces gens qui veulent devenir des rhinocéros, suivre la masse et ne pas résister au discours ambiant populiste sont clairement les suiveurs, ceux qui deviendront les bourreaux des résistants. Ecrit en 1959, cette pièce fait sans doute référence au régime nazi et au stalinisme qui vient juste de finir (Staline est mort en 1952).

La pièce est fine, parce que sous ses dehors comiques, les discussions sans fin, elle est très sérieuse, et c'est même lorsque les dialogues deviennent les plus loufoques qu'ils sont les plus profonds, c'est là que le doute s'insinue dans le lecteur lui qui pouvait parier sur une certaine légèreté du propos : le langage très simple, basique (assez peu de mots sont utilisés, Ionesco répétant souvent les phrases et usant d'un vocabulaire très simple), le ton résolument drôle, absurde, les personnages stéréotypés à en être eux-mêmes ridicules et amusants. Ce qui est fin également, c'est le basculement imprévisible de certains d'entre eux, au détour d'une phrase, d'un mot, eux que l'on aurait pu croire sûrs d'eux, convaincus de leur forte personnalité, hop ils changent du tout au tout et versent dans l'opinion qui monte et deviennent vite des moutons... ou plutôt ici des rhinocéros qui viendront grossir les rangs du troupeau, sans réfléchir. Bérenger à l'apparente faiblesse de caractère est celui qui se révélera le plus combatif.

Bref, une très bonne idée que cette relecture estivale d'une pièce essentielle à conseiller à tous.