Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Une aventure d’Eddie Flynn, T1

Steve Cavanagh

Bragelonne

Conseillé par
23 septembre 2015

Premier roman d'un avocat ayant lui-même exercé plusieurs métiers auparavant. C'est rapide, haletant du début à la fin. Bon je ne cache pas quelques réserves : d'abord, je ne suis pas très amateur de polars se déroulant lors de procès, ça peut être technique, notamment lorsqu'ils se passent aux États-Unis, celui-ci n'échappe pas à la règle et l'on peut être un peu perdu dans les règles, les amendements évoqués (à moins d'être états-unien ou amateur de roman ou film et série policière américaine, ce qui n'est absolument pas mon cas = deuxième réserve). Ensuite, je me serais bien passé de certaines descriptions lors des acrobaties d'Eddie par exemple, ou sur le temps ou l'architecture du palais de justice ; le livre aurait pu être expurgé de certaines longueurs inutiles, qui ne servent à rien si ce n'est à faire un roman de 400 pages. Ou alors il aurait fallu que le texte en lui-même apportât quelque chose, une belle prose, particulièrement soignée. Là on est plutôt sur de la littérature courante. Sans chichi. Efficacité avant tout.

Malgré tout cela et pour peu qu'on accepte de passer un peu vite des pages, et bien, il est difficile de quitter le roman avant la fin. L'efficacité dont je parlais plus haut est là : on a l'impression d'être dans un film hollywoodien dont on ne ressortira pas plus intelligent mais qui fait passer un bon moment sans se prendre le chou. Les personnages, Eddie en tête sont assez fouillés pour le genre, intéressants, un peu stéréotypés pour les méchants, mais quelques surprises sont au rendez-vous et finalement le dénouement n'est pas si attendu que cela. Steve Cavanagh a su créer une intrigue qui nous tient au-delà du simple rythme imposé par l'explosion de la bombe.

Très bien de temps en temps, mais comme disait une vieille publicité qui me faisait beaucoup rire -elle est ici, si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, ou la découvrir pour les plus jeunes- "Je ne ferais pas ça tous les jours."

Editions de l'Aube

Conseillé par
23 septembre 2015

Maïssa Bey est une auteure algérienne qui publie depuis quasiment vingt ans chez le même éditeur, L'aube. J'avais entendu parler d'elle mais ne l'avais pas encore lue. Son roman puise dans les légendes, les figures féminines algériennes, celles qui se sont dressées contre la dominance masculine, comme Hizya, héroïne d'une élégie du poète algérien Mohamed Ben Guittoun composée en 1878 et intelligemment reproduite à la fin de l'ouvrage que je tiens en mains. Cette Hizya a refusé tous les hommes qu'on lui présentait pour pouvoir épouser celui qu'elle aimait, Sayed. Elle est morte à vingt-trois ans, un mois après son mariage.

L'autre Hizya, la jeune femme du roman se pose beaucoup de questions : à son âge beaucoup de femmes sont déjà mariées et mères et elles restent à la maison pour s'occuper de la famille. Hizya rêve d'indépendance et d'amour partagé. Elle se confronte alors aux traditions, mais elle rencontre aussi beaucoup de femmes qui refusent les diktats des hommes.

Bien qu'un peu long parfois, c'est un roman qui se lit assez vite, notamment grâce à sa construction en petits chapitres qui dialoguent entre eux. D'une part, le quotidien d'Hizya, puis en italique, introduites par le "tu", les réactions et interrogations que ces événements suscitent en elles, ce qu'elle aurait pu ou dû faire, les reproches qu'elle se fait, souvent en relation à ses peurs, ses doutes.

Roman de femmes écrit par une femme. Féministe, sûrement, tellement il est difficile de vivre en tant que femme dans un pays dans lequel leurs droits sont quasi nuls, mais dans lequel elles ont une pléthore de devoirs. Maïssa Bey fait vivre son héroïne dans un monde macho, terriblement difficile : "Autour de toi, chaque jour, des femmes, des jeunes filles -ni princesses ni filles de pacha- se font insulter, agresser, parfois violer. Pourquoi ? Certaines parce qu'elles sont dans la rue, simplement. D'autres parce qu'elles portent des vêtements jugés provocants, offensants pour la morale. On les accuse de trouble à l'ordre public. Des tarés, des frustrés, des excités, et parfois des gamins à peine pubères, considèrent qu'elles occupent un territoire qui leur est réservé et qu'elles le polluent par leur seule présence." (p.221/222). Maïssa Bey parle de tout sans tergiverser : de la peur d'Hizya de rencontrer une connaissance à elle lorsqu'elle se promène dans la rue avec un garçon, des viols domestiques subis par les femmes mariées, des multiples grossesses, de la soumission aux hommes, de certaines qui sont quasiment les esclaves de leurs maris, obligées de céder à toutes leurs demandes, de la peur de la montée de la religion extrême et des carcans qu'elle dresse devant les femmes, du port du voile, de sexualité, de la pauvreté du pays qui peine à garder ses diplômé(e)s, ...

Maïssa Bey ne mâche pas ses mots, et ça fait du bien de les lire. Je ne suis pas sûr qu'elle soit en odeur de sainteté auprès des mâles algériens, au moins ceux qui persistent à croire que les femmes leurs sont inférieures et inféodées.

Un roman qui s'il ne nous apprend pas grand chose que nous ne sachions déjà a le mérite de mettre le doigt sur toutes ces inégalités d'une manière forte et sans équivoque. Le portrait d'une femme de notre époque confrontée aux archaïsmes masculins et religieux.

7

Eric CHEVILLARD

L'Arbre vengeur

7,50
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23 septembre 2015

C'est typiquement le genre de livre qu'on ouvre, referme et ré-ouvre de temps en temps ou régulièrement. Je l'avais un peu oublié depuis quatre ou cinq mois lorsque je l'ai retrouvé au fur et à mesure que je réduisais la pile de livres sur ma table de chevet. Ah chouette, me suis-je dit. Et là, je me suis aperçu que j'en avais lu la moitié, et annoté une grande partie. J'ai repris où je m'étais arrêté, tranquillement.

Éric Chevillard, c'est d'abord une belle écriture mais aussi un esprit un rien barré. Dans son Autofictif, il est drôle, méchant gratuitement -ça c'est pour les gens qu'il n'aime pas mais que j'aime bien-, méchant et bien vu -ça c'est pour les gens qu'on n'aime ni lui ni moi-, agaçant, philosophique, anecdotique, poétique, familial, pas terrible, vachement bien, absurde, ubuesque, littéraire, exigeant, facile, vain, utile, vache, ... Du Chevillard quoi. Très doué, qui ne peut laisser indifférent, parfois imbu, sûr de sa qualité et élitiste, ce qui peut parfois ressembler à une posture. En quelques occasions, il me fait penser à Desproges, cet élitisme et cette méchanceté drôle, lui qui, par exemple pleurait "comme un môme" à la mort de Brassens "Alors que -c'est curieux-, le jour de la mort de Tino Rossi [il reprenait] deux fois des moules."

Le mieux est de finir avec quelques extraits parmi les très nombreux que j'ai relevés, tiens, le premier je le garde sous la main au cas où j'ouvrirais un livre vraiment mauvais :

"Il a certes consacré deux ans à l'écriture de ce livre. Mais la bouse aussi est le produit d'une longue et lente rumination" (p.148)

"Pris d'une audace inhabituelle, j'osai cette fois aborder la jeune femme sublime qui passait dans la rue : "- Si vous saviez, Mademoiselle, comme vous seriez plus charmante encore si vous n'étiez pas lestée comiquement de ce pignouf un peu gras pendu à votre bras." Or, à mon grand étonnement, ce conseil de beauté désintéressé, offert sans autre espoir de récompense qu'un baiser appuyé et un doigt dans le cul, ne fut pas reçu avec la reconnaissance que j'étais en droit d'attendre et je me retrouvai sans bien comprendre comment allongé sur le trottoir avec la lèvre fendue." (p.11)

"Ce qu'il ne faut pas faire pour avoir la chance d'étreindre de belles femmes lorsqu'on est affligé d'un physique ingrat ! Je connais au moins deux types dans ce cas qui n'ont pas eu d'autre choix que d'accéder à la fonction suprême de Président d'une république que je préfère ne pas nommer par respect pour la vie privée de sa population." (p.87)

Et pour finir en beauté et intelligence, voici sans doute deux de mes préférées concernant deux grands pour qui j'ai une admiration profonde :

"La musique porte des émotions simples, l'exaltation, la mélancolie, la douleur, la colère, la joie - mais une musique perplexe ? une musique ironique ? une musique au second degré ? C'est la grande originalité de Satie : alors que les écrivains se flattent tous d'écrire des pages musicales, il est l'inventeur d'une musique que l'on peut sans abus qualifier de littéraire." (p.119)

"Quant au noir de Pierre Soulages, Sétois lui-même (on se comprend), voici le rideau tombé enfin sur la débauche des formes et l'orgie des couleurs -nous jouissons du calme revenu dans le musée éteint, et pourtant il ne s'agit nullement d'un retour à la niaise candeur de la toile blanche : cette nuit est hantée par les scènes et les figures de tous les tableaux qui nous reviennent avec la précision du rêve (ou du cauchemar)" (p.119/120)

Don Quichotte

Conseillé par
23 septembre 2015

Charles est le double à peine caché de Jean Gab'1, de son vrai nom Charles M'Bouss. Après une enfance pour le moins chaotique, il devient rappeur sous son pseudonyme, puis écrit un premier livre : "Sur la tombe de ma mère" dans lequel il se raconte déjà. "A l'Est" est le récit romancé (on est sans doute plus sur de l'autobiographie, mais le mot "roman" est inscrit sur la couverture) de son été et début de l'automne 1988, il vient alors tout juste de passer les vingt ans.

Ce qui surprend agréablement c'est la langue de Jean Gab'1 : de l'argot dont je ne connais pas tous les mots mais finalement qu'importe, même si le sens d'un vocable échappe, la signification globale de la phrase est à la portée des lecteurs, même non rappeurs, même non amateurs du genre en général. On est de la même génération avec l'auteur et je saisis donc les références télévisuelles, musicales, les marques de fringues et même les modèles de voitures. Mais assez vite, je commence à décrocher, tellement je suis loin de cet univers, même si l'écriture me retient encore :

"J'ai levé le pied pour aller me repoudrer le tarin. Le blaire dans la sciure, je me suis mis le cervelet dans le formol avant de taper le goujon avec l'aspirateur d'à côté, un mecton qui faisait partie de la garde rapprochée de Maine. Il avait des lianes greffées sur le scalp et des gouttelettes tatouées sur la poire comme s'il miaulait. C'était déjà pas une gravure, alors la larmichette n'arrangeait rien. Tu me diras, l'art c'est subjectif." (p.138)

Et puis, et puis, ce qui devait advenir advint, je me suis ennuyé, j'ai trouvé le temps long en Allemagne mais j'ai tenu. Mais la vie au États-Unis, entre l'alcool, la drogue, la violence exacerbée, ça m'a gonflé : c'est répétitif, long, j'en ai eu ma dose voire une overdose. Je peux ne pas être le plus rapide des lecteurs, le plus fin de la comprenette, mais bon, en trente pages j'avais pigé ce que Jean Gab'1 m'explique en une centaine. Fin de partie pour moi.

Conseillé par
23 septembre 2015

Ce premier roman d'une jeune auteure brésilienne est barré, empli de personnages loufoques, franchement déjantés. La palme revient pour moi à Nico ce passionné des médicaments et de leurs effets secondaires et des interactions entre eux tous. Il est aussi un jeune homme énamouré et timide qui évidemment a du mal à parler à l'élue de son cœur qui ne partage sans doute pas sa passion il est vrai peu commune. Otto, lui, seul dans sa maison observe tous ses voisins, il sent qu'on lui cache des choses et en bon amateur d'histoires policières, il se bâtit un scénario qui file tout le long du roman, surtout dans sa dernière partie.

C'est un roman assez inégal, qui multiplie les bonnes idées, comme les fantaisies des protagonistes, leurs lubies voire leurs délires, qui utilise la réalité (par exemple, il a bien existé un soldat japonais qui a continué sa guerre jusque dans le milieu des années 70 et est venu ensuite vivre au Brésil, Hiro Onoda), qui sait user des codes du polar pour finir en beauté. Malgré cela, il est un peu long et certains passages sont ennuyeux que j'ai passés sans état d'âme pour arriver vite à cette fin vraiment bien fichue.

Frais, original et fin ce roman aurait gagné à être élagué pour gagner en énergie. Néanmoins m'en restent un bon souvenir, la découverte d'une auteure à suivre et une recette de tisane à la laitue pour combattre les insomnies, que personnellement, bien que souffrant d'un sommeil capricieux, je ne suis pas prêt à essayer, d'abord parce que la recette ne m'apparaît pas vraiment sexy : "Après cinq minutes de cuisson [des feuilles de laitue dans de l'eau], et de silence solennel (Otto craignit que son épouse ne s'endorme sur place), l'eau prit une couleur jaune-verdâtre et Ada se félicita du succès de l'opération. Elle couvrit la solution herbacée, attendit encore un peu, puis servit son mari qui, à ce stade, s'était déjà enfui dans le jardin." (p.80), et ensuite, parce que la laitue n'est pas ma salade préféré, rien en vaut une roquette ou une mâche... nantaise bien sûr.